PDV d'Angie
J’INSPIRE UN GRAND COUP, et je saute dans le train en marche, comme je l’ai fait des dizaines de fois avant ça. Mon sac à dos glisse légèrement sur mon épaule, et je le retiens d’un mouvement brusque. Il contient une centaine de petits pains. L’opération, racontée de cette manière pourrait être comique. Je vais en effet m’introduire au siège des Érudits avec un sac remplis de pains. Mais ce n’est pas comme si j’allais leur en proposer et boire un thé en discutant avec eux le plus tranquillement du monde. Non. Ma mission était capitale, et j’avais été la première à me proposer pour l’accomplir. Alors je m’assois par terre, le plancher vibrant sous mes jambes et je me remémore les étapes de l’opération.
Après un bon quart d’heure, je jette à coup d’œil au paysage qui défile dehors, et je me rends compte que je suis bientôt arrivée à destination. J’attrape mon sac quelque peu alourdi par mes provisions, je recule pour prendre de l’élan et saute. Un peu déséquilibrée par le poids de mon sac, je termine en roulade dans l’herbe fraîche et me relève immédiatement. Après avoir vérifié que personne ne faisait attention à moi, je m’engage dans une ruelle où siègent des bâtiments abandonnés, laissés en ruines. Hésitante, je m’engouffre dans l’un deux. Des vieilles tables en bois couvertes de poussières y figurent, ainsi que quelques tabourets du même état. Je tire les rideaux qui ne sont plus que du tissu rapiécé, et je tire de mon sac ma tenue de parfaite Érudite. Une jupe serrée bleue, une chemise blanche et des escarpins bleus, sans oublier les lunettes bien sûr. J’attrape mes cheveux blonds et les tire en arrière jusqu’à avoir obtenu un chignon convenable. Puis, je fais une boule de mes vêtements d’Audacieux et les laisses dans un coin de cet immeuble. Je sors et dépoussière ma jupe. Les Érudits sont plutôt soignés, et chaque détail compte.
J’arrive bientôt devant le grand bâtiment de verre des Érudits. Le soleil s’y reflète et m’aveugle un instant. Je maudis intérieurement ces lunettes qui me donnent un air totalement ridicule, et j’entre. Passer par l’entrée n’est guerre prudent, mais je n’ai pas le matériel pour escalader la façade vitrée, et puis on pourrait me voir. Avec ce temps radieux, nombreux sont les personnes qui se baladent dans les jardins se situant au pied du dôme. Personne ne fait attention à moi, et je soupire de soulagement quand j’arrive à traverser le hall sans encombres. J’emprunte quelques couloirs qui se ressemblent tous, et sors une carte détaillée de ma poche. Depuis quelques semaines, à chaque fois que Princess se rend ici elle prend des photos de l’intérieur, ce qui nous a aidé à réaliser ce plan. Je suis ma trajectoire à la lettre, et me rends compte que je descends de plus en plus. Je dois être au sous-sol. Enfin, j’arrive dans une sorte de hangar géant, dans lequel sont garés deux avions de chasse. Un garde ne se tient pas très loin, et je me range derrière des caisses en bois avant qu’il ne me remarque. J’inspire et réfléchis. Je pourrais facilement le rendre K.O d’un coup bien visé, mais il y a sûrement des caméras vidéo et je risque d’attirer d’autres gardes. Alors, il ne me reste plus qu’une solution.
Je sors de ma cachette et souris au garde qui hausse les sourcils.
« Je suis venue vérifier les stocks d’explosifs qui seront largués dans quelques heures. »
Le garde me jette un regard méfiant, mais il n’en dit pas plus et accepte d’un mouvement de tête. Je me dirige vers le premier avion. Un chiffre est marqué sur ses ailes. A-695. C’est le bon. Je me hisse avec un peu de difficultés dans la cabine et regarde autour de moi. Mes yeux tombent sur un sac noir. Je me jette dessus et regarde le contenu. Des petits pains. Mais pas comme les miens. Ceux-ci sont explosifs, et ils serviront à tuer les Fraternels. Mais ces chers Érudits n’en auront pas le loisir. Alors que je m’agenouille pour échanger les pains, j’entends des pas derrière moi. Je sursaute et me retourne, mes instincts de guerrière reprenant surface.
Mais trop tard.
Deux gardes vêtus du même uniforme sont montés avec moi, et m’entraînent dehors. Je me débats et donne des coups à droite et à gauche, mais ils sont deux et je suis seule. Ils réussissent à me faire tomber de la cabine, et je fait une roulade sur le côté alors qu’un des deux hommes se jette sur moi. Je me redresse d’un mouvement vif et lance rapidement mes talons à travers la salle. Je ne peux pas courir avec. Et alors que je me prépare à affronter deux adversaires, une voix retentit derrière mon dos :
« Si tu bouges, je tire. »
Un objet glacé s’appui sur mon cou. Sûrement un canon. Je frissonne. La personne qui a parlé me contourne et je reconnais le fameux Jhu. La personne qui me vise derrière moi est sans nul doutes Érudit lui aussi, donc incapable de se battre. Mais capable de me tuer. Dois-je risquer ma vie ? Ou me laisser faire ?
« Je me doutais un peu qu’un acte de ce genre arriverait. Vois-tu, hier soir nous avons réussi à pirater le réseau vidéo de la ville. Nous avons ainsi pu vous observez, pour nous assurer que Princess vous donnerait le sérum. Malheureusement, elle ne l’a pas fait et les Audacieux ont parlé de toi et de ta mission. »
Il continue de tourner autour de moi, comme si j’étais sa proie.
« Vous vouliez donc aider les Fraternels, continue-t-il d’une voix pensive. Eh bien, il ne me reste plus qu’une seule chose à faire ».
Il va me tuer, pensais-je. C’est sûr et certain. Le sang me bat aux tempes, et je ferme les yeux, croyant mon heure arrivée. Mais ce ne fut pas le cas.
« Faites décoller l’avion et larguez les pains. Maintenant. », lança-t-il d’une voix monotone.